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2005

KOSLOFSKY, Craig M., The Reformation of the Dead. Death and Ritual in Early Modern Germany, 1450-1700

Jean-Luc Le Cam
Craig M. KOSLOFSKY, The Reformation of the Dead. Death and Ritual in Early Modern Germany, 1450-1700, Basingstoke/ New York : Palgrave, 2000, 223 p., 95 $.
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Texte intégral

1Ce livre est issu d’une thèse soutenue à l’université du Michigan avec le concours d’Hans-Christoph Ruhblack, dont l’auteur a suivi l’enseignement à Tübingen. Il s’agit d’une enquête sur les effets de la Réforme sur la conception de la mort et le traitement des défunts. Depuis le IIe s., les funérailles chrétiennes étaient comprises comme un rituel d’intercession, fondé sur des prières puis sur des messes répétées pour les défunts. Rejetant la croyance au Purgatoire et à l’intercession pour les âmes des morts, les protestants ont été conduits à repenser fondamentalement la signification et l’économie du rituel funéraire. À cette question les Luthériens ont élaboré une réponse singulière. Tout en posant une séparation radicale des morts des vivants, qui commence dès le lit mortuaire (on arrête de prier dès le moment du décès) et se poursuit dans le transfert des cimetières hors des villes, le luthéranisme entend conserver aux funérailles une valeur exemplaire, créant un rituel unique parmi les confessions de l’Europe moderne. La théologie pastorale justifie les fonctions sociales des funérailles, insistant sur les honneurs dus à Dieu et à l’homme, qui prennent désormais une place centrale dans le sermon. Ce livre étudie l’émergence de ce nouveau rituel et son évolution pendant trois siècles.

2Les fondements théoriques de cette analyse (chap. 1) sont empruntés essentiellement à l’anthropologie et à l’ethnographie (R. Herz, R. Huntington, P. Metcalf), réinterprétés dans le contexte de la théorie de la pratique des sociologues (P. Bourdieu, M. Sahlins, S. Ortner), et appliqués à l’histoire dans l’esprit de l’école cérémonialiste ou ritualiste anglo-saxonne (R. Gisey, M. Lindeman, S. Stroccia, C. Eire). Cette approche permet de mettre en lumière le rôle du rituel dans la construction de relations de pouvoir à travers le statut et le genre, tout en combinant l’analyse des structures et de l’évolution historique.

3La première partie (chapitres 2 et 3) examine ce que l’auteur décrit comme « le mouvement parallèle de retrait des âmes et des corps des morts du monde des vivants » opéré par la Réforme. Il retrace, sur la base de traités théologiques et de pamphlets, la remise en cause par la Réforme du rôle traditionnel d’intercession de l’Église et des relations articulées socialement qui s’ensuivaient entre les vivants et les morts. L’attaque de Luther contre les indulgences et l’intercession entraîne par cohérence théologique un rejet des morts conçus comme un groupe social. La conséquence pratique de cette conception théologique est la séparation physique et spatiale des vivants et des morts au moyen de la fondation de nouveaux cimetières hors les murs.

4La deuxième partie explore les implications de cette séparation en décrivant le développement puis le déclin du rituel luthérien communautaire depuis la Réforme jusqu’au piétisme au début du XVIIIe s. Le chapitre 4 décrit les tentatives des Églises territoriales pour instituer un nouveau rituel et analyse ses fonctions sociales pendant la période 1550-1670. Dès le début, les ordonnances ecclésiastiques commandaient des funérailles honorables et bien ordonnées comme signe de conformité religieuse. Le rite luthérien était une formidable occasion pour la famille de faire montre de son honneur à travers l’ostentation funéraire. Les autorités ont toutefois essayé de limiter cette ostentation dans ces ordonnances et dans des lois somptuaires. Mais l’élément central du rituel dans ce contexte devenait le sermon, qui d’une simple explication de la doctrine luthérienne débouchait sur un interminable éloge du décédé et de sa famille. Le chapitre 5 oppose de façon contrastée cet enterrement honorable aux funérailles perturbées par la violence religieuse. L’analyse d’un certain nombre de cas pratiques à Berlin, Dresde et Leipzig, fait apparaître les conceptions populaires de l’honneur, de la communauté, de la pollution et de l’exclusion. Le dernier chapitre analyse la mode de l’enterrement honorable de nuit (stille Beisetzung) qui se répand rapidement dans la population urbaine à l’exemple des notables à la fin du XVIIe s. L’auteur insiste sur la liberté que donne cette pratique vis à vis de l’Église, qui n’est quasiment plus associée à la cérémonie, et suggère que ce type d’enterrement a été le précurseur des funérailles centrées sur la famille.

5Cette thèse a le mérite de proposer une séduisante et très claire interprétation d’ensemble. L’apport sur l’enterrement silencieux est particulièrement neuf et dépasse les explications superficielles de cette mode par la seule influence du piétisme. Cependant la présentation d’une évolution épurée jusqu’au type idéal et simplement illustrée de quelques exemples emblématiques (d’ailleurs concentrés dans certaines régions telles la Saxe ou le Brandebourg) ne rend guère compte de la complexité du réel. Aucun essai de quantification des pratiques, ne serait-ce que celle de l’externalisation des cimetières qui me semble beaucoup moins systématique dans la réalité, ne vient mesurer la représentativité des exemples choisis, aussi lumineux soient-il. La comparaison avec l’évolution parallèle des pratiques catholiques serait également bienvenue. Pour autant, cela reste un livre extrêmement stimulant et incontournable sur la question.

6Jean-Luc LE CAM (Université de Bretagne Occidentale, Brest)

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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Luc Le Cam, « KOSLOFSKY, Craig M., The Reformation of the Dead. Death and Ritual in Early Modern Germany, 1450-1700 », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 01 janvier 2005, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/875 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.875

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