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2011

Hardtwig, Wolfgang, Die Aufklärung und ihre Weltwirkung

Guillaume Garner
Wolfgang Hardtwig (dir.), Die Aufklärung und ihre Weltwirkung, Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht (Geschichte und Gesellschaft, 23), 2010, 323 p., 43,90 €.
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Texte intégral

1Les lecteurs de la Revue le savent : l’« histoire globale » constitue en Allemagne un champ de recherche particulièrement dynamique, et c’est donc assez logiquement que les problématiques de ce courant se sont orientées vers les études consacrées à l’Aufklärung. Ce faisant, comme cela ressort de l’introduction de W.H., la tension traditionnelle entre deux définitions de l’Aufklärung (une époque ou un programme philosophique et politique) s’en est trouvée renouvelée, dès lors que des phénomènes et processus caractéristiques de l’Aufklärung sont décelables hors d’Europe et hors du XVIIIe siècle. C’est cette tension qui est donc au centre des études de ce recueil qui embrassent des sujets, des espaces et même des périodes très divers.

2Un certain nombre d’études s’attache tout d’abord à revenir sur un certain nombre de lieux communs à propos des Lumières : M. Füssel démontre brillamment que loin d’être des bastions conservateurs et obscurantistes, les universités furent des lieux majeurs de l’Aufklärung, notamment en ce qu’elles favorisèrent la formation d’un habitus du débat et de la confrontation publics des idées, tandis que C. Vogel présente ainsi un panorama historiographique sur les liens entre jansénisme et Lumières dans la France du XVIIIe siècle. Les liens entre Aufklärung et religion sont également au centre de la contribution de T. Ahnert qui souligne à quel point l’attachement au christianisme a modelé la philosophie de l’histoire de l’une des figures majeures des Lumières écossaises, Robertson, tandis que l’étude de l’Ordre des Illuminés est l’occasion pour M. Neugebauer-Wölk de souligner les apports d’une analyse en termes de réseaux pour comprendre la configuration des débats traversant cet « espace secret de l’Aufklärung ».

3L’étude de C. Scharf sur les Lumières russes comme mouvement impulsé d’en haut par le pouvoir central vient en revanche moins réfuter une idée commune que confirmer l’existence d’une société civile autonome et active dans le déploiement de l’Aufklärung – ce critère expliquant les limites des Lumières russes, dont l’existence ne peut cependant être niée. La contribution de F.L. Fillafer qui relativise la coupure des années 1800 pour l’histoire de l’Aufklärung dans les États Habsbourg et retrace surtout la façon dont au XIXe siècle, les libéraux autrichiens construisent un lien entre Aufklärung et libéralisme qui leur permet de se présenter comme seuls défenseurs du bien commun et de la liberté.

4La dernière partie, intitulée « effet mondial » (Weltwirkung) s’efforce donc de décentrer le regard sur les Lumières. V. Depkat reprend le dossier des Treize Colonies pour interroger le rapport de la démocratie américaine au programme politique des Lumières et apporter une réfutation nuancée de l’image des États-Unis comme incarnation des Lumières. A. Eckert, sur un autre thème « classique », propose une synthèse sur le trafic d’esclaves et le mouvement abolitionniste en Europe occidentale à la fin du XVIIIe siècle, principalement centré sur la figure de Condorcet. S. Dabringhaus s’interroge sur l’existence d’une Aufklärung en Chine : le décentrement est à la fois spatial et chronologique, puisqu’elle étudie une période allant du XVIIe siècle au mouvement du 4 Mai 1919. Après avoir rappelé qu’aux XVIIe et XVIIIe siècles, le transfert des savoirs dû aux jésuites s’est combiné à des mouvements autonomes, notamment dans le domaine de la critique philologique des textes, elle rappelle l’importance des missionnaires protestants du XIXe siècle qui transmettent le savoir occidental à des populations qui ne sont plus issues de la seule élite des savants. L’auteur souligne enfin l’importance du mouvement du 4 mai qui met en mouvement société chinoise, mais en rappelant que la libération de la société chinoise compte plus que l’émancipation de l’individu et que les concepts politiques majeurs de l’Aufklärung européenne ne furent jamais appliqués, le lien principal entre les Lumières européennes et chinoises résidant par conséquent dans l’appropriation des savoirs. C. Herzog reprend enfin le dossier, âprement débattu en Allemagne dans les années 1990, de l’existence de Lumières ottomanes, pour souligner que la réception des Lumières européennes s’est principalement opérée au XIXe siècle et qu’elle s’est concentrée sur la dimension politique des Lumières européennes, tandis que l’absence d’un capitalisme éditorial (Printkapitalismus) a, du XVIIIe siècle au premier XXe siècle, entravé l’émergence d’un espace public de discussion, et donc limité la portée émancipatrice de ces Lumières ottomanes.

5La lecture de ce volume est passionnante, mais suscite également des questions. Formulé selon l’opposition période/programme politique et philosophique, le débat sur la nature des Lumières est fondamentalement mal posé, puisqu’il laisse le choix entre deux options insatisfaisantes : considérer les Lumières comme une époque aboutit à diluer le phénomène dans l’histoire générale du XVIIIe siècle, tandis que l’autre option pèche par une approche idéaliste, centrée sur les idées, les programmes, et faisant abstraction des modalités concrètes par lesquelles ces discours sont élaborés, diffusés, débattus, appliqués ou combattus. En d’autres termes, l’existence d’une opinion publique utilisant (entre autres) l’imprimé pour s’informer et débattre de ces « idées » n’est pas une condition du succès des Lumières, mais bien un élément constitutif de ces dernières. Comme on l’a vu, c’est précisément ce que montrent parfois brillamment plusieurs contributions, mais on peut regretter que cette dimension n’ait pas trouvé la place qui lui revient dans l’économie générale du volume. Celle-ci prête également le flanc à la critique : structurer en trois parties (l’Aufklärung allemande – l’Aufklärung en Europe – l’effet mondial) un volume intitulé « l’Aufklärung et son effet mondial » ne peut manquer de faire naître le soupçon d’un diffusionnisme germanocentré chez le lecteur le plus germanophile (qui constatera que l’option petite-allemande l’a emporté puisque les États Habsbourg relèvent de la deuxième partie).

6Ces remarques n’enlèvent rien à l’intérêt des contributions de ce volume, dont certaines ont par ailleurs le souci de prendre en compte les canaux et modalités de transfert des savoirs et des idées entre l’Europe et d’autres espaces (notamment l’empire ottoman et la Chine), et donc d’éviter toute conception essentialiste des Lumières.

7Guillaume Garner (ENS Lyon)

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Pour citer cet article

Référence électronique

Guillaume Garner, « Hardtwig, Wolfgang, Die Aufklärung und ihre Weltwirkung », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 01 janvier 2011, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/6567 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.6567

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Auteur

Guillaume Garner

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