Navigation – Plan du site

AccueilLibrairie / RecensionsDate de recension2001SCHUSTER, Beate, Die unendlichen ...

2001

SCHUSTER, Beate, Die unendlichen Frauen. Prostitution und städtische Ordnung in Konstanz im 15./16. Jahrhundert

Joseph Morsel
Claudia ELIASS, Die Frau ist die Quelle der Weisheit. Weibliches Selbstverständnis in der Frauenmystik des 12. und 13. Jahrhunderts, Pfaffenweiler : Centaurus (Frauen in Geschichte und Gesellschaft, 28), 1995, 211 p., 38 DM (€ 19,43).
Hans-Werner GOETZ, Frauen im frühen Mittelalter. Frauenbild und Frauenleben im Frankenreich, Köln/Weimar/Wien : Böhlau, 1995, 440 p. (56 ill.), 58 DM (€ 29,65).
Beate SCHUSTER, Die unendlichen Frauen. Prostitution und städtische Ordnung in Konstanz im 15./16. Jahrhundert, Konstanz : UVK, 1996, 225 p. (11 ill.), 24,80 DM (€ 12,68).
Haut de page

Texte intégral

1Si l’« histoire des femmes » (puis la gender history) a finalement assez peu touché la médiévistique française, il n’en va pas de même pour la médiévistique allemande, pour des raisons multiples qui tiennent entre autres à la proximité de l’historiographie américaine plus grande qu’en France, mais aussi à une évolution différente des rapports de force entre hommes et femmes à la fois dans la société globale (notre caractère « latin » est encore régulièrement rappelé outre-Rhin…) et dans la médiévistique (il suffit pour cela d’observer la nette disproportion du nombre de femmes titulaires d’une chaire de part et d’autre du Rhin). La conséquence en a été la multiplication de publications consacrées spécifiquement à tel ou tel aspect de la vie ou de la place sociale des femmes au Moyen Âge, dont les trois ouvrages ici présentés offrent un large panorama.

2Le haut Moyen Âge est abordé par H.-W.G. de manière globale : la forme plurielle et indéterminée (« Femmes du haut Moyen Âge ») signale à la fois la volonté d’échapper à une vision hypostatique de LA femme et celle de traiter les multiples aspects de l’existence sociale des femmes. Le monde franc du VIe au Xe s. constitue le champ d’investigation (avec quelques observations latérales sur les sources anglo-saxonnes et lombardes). Après avoir planté le décor (légitimité d’une histoire des femmes en introduction, état de la recherche sur le sujet dans le premier chapitre), H.-W.G. examine les représentations de la femme à travers divers types de sources, qui structurent l’ouvrage. Il commence logiquement par l’image d’Ève dans l’exégèse biblique du haut Moyen Âge, puisqu’elle détermine largement l’ensemble des représentations « courantes ». Suivent les vitæ de saintes, que H.-W.G. commence par comparer statistiquement avec celles des hommes (qui les éclipsent numériquement dès le VIIIe s.) avant d’en examiner le contenu spécifique. Viennent ensuite les écrits théoriques sur le mariage, essentiellement ceux de Jonas d’Orléans (dont la surreprésentation ici n’est pas explicitée), avant de passer aux documents juridiques (codes, capitulaires et canons), historiographiques et « de la pratique » (diplômes et chartes) permettant d’appréhender le statut de la femme mariée et mère. Une des grandes originalités de l’ouvrage consiste à ne pas se limiter, comme on le fait d’habitude, à la sphère aristocratique : un chapitre entier est ainsi consacré à la rustica, dont il définit la signification sociale avant de se pencher sur le statut et la situation matrimoniale des femmes dans les polyptyques. H.-W.G. examine ensuite les représentations de femmes dans l’iconographie (entièrement d’origine masculine), avant de s’intéresser à l’existence d’une éventuelle image de la féminité (ou idéal féminin), d’une part dans des écrits masculins destinés à ou sur des femmes (Præloquia de Rathier de Vérone, lettres et épitaphes), d’autre part dans les écrits dus à des femmes (Dhuoda, Roswitha, lettres, chartes). Les lettres de femmes sont par ailleurs réexaminées à part et en tant que telles, en tant que témoignages de l’horizon, des intérêts et de l’image de soi des femmes qui prennent la plume (en soulignant qu’elles n’en sont pas dignes, car écrire est une activité masculine). H.-W.G. synthétise enfin l’ensemble des résultats obtenus sur les feminæ altomedievales : le plus important est sans doute le caractère secondaire de la féminité par rapport au niveau social dans l’appréhension (y compris par les femmes) de la position sociale des femmes, celles-ci étant d’abord aristocrates, dépendantes, nonnes ou épouses avant d’être femmes. Par ailleurs, H.-W.G. valorise la marge de manœuvre matérielle des femmes et rapporte ce qui nous paraît être des limitations de celle-ci à des modalités de l’appartenance sociale qui pèsent également sur les hommes et ont une fonction de protection sociale. Un ouvrage remarquable – pour un regard masculin ?

3C’est d’emblée un regard féministe qu’adopte, quant à elle, C.E. dans son ouvrage sur les femmes mystiques et la mystique féminine des XIIe et XIIIe s. Ce choix est légitimé dans une introduction combative dont l’intérêt dépasse l’engagement féministe : la remise en question de l’écriture masculine de l’histoire relève en effet d’une remise en question de l’écriture socio-politiquement dominante de l’histoire – et notamment du mythe de l’objectivité des faits ou du caractère préconstruit des catégories d’analyse. Nul besoin d’être féministe pour procéder à cette remise en question – mais le fait est qu’elle se rencontre plus fréquemment chez les historien(ne)s « en lutte » que chez les bénéficiaires de l’ordre établi. Le thème de la mystique féminine a été retenu en raison de son possible caractère d’articulation entre une société où les femmes étaient en position de repli et la vie monastique dans laquelle étaient censées se trouver les seules possibilités d’épanouissement – mais à l’ombre. L’étude porte spécifiquement sur trois mystiques allemandes, Hildegarde de Bingen, Élisabeth de Schönau et Gertrude de Helfta. Après la présentation de l’état des recherches sur la mystique féminine, des problèmes spécifiques posés par la médiation textuelle de la mystique, enfin de la biographie succincte des trois mystiques étudiées, C.E. examine le contexte de leur activité, et en particulier l’évolution de la place réservée aux femmes dans la société chrétienne aux XIIe et XIIIe s. (confiscation masculine de la prédication et de l’enseignement, fermeture des ordres, etc.). L’examen des formes, du contenu et de la réception extérieure des visions révèle d’une part une nette soumission à des normes et représentations définies à l’extérieur des monastères féminins et par les hommes, mais aussi, chez Hildegarde et Élisabeth, la conscience de marcher sur les plates-bandes des hommes et une forme de récupération des représentations masculines. Chez Gertrude, qui ne prétend pas faire connaître ses visions hors du monastère, on ne rencontre plus cette confrontation avec les normes masculines. En revanche, le point commun des trois visionnaires semble être l’idée de la « fragilité » de la femme, représentation directement inspirée par la société masculine mais transformée ici spécifiquement en un moyen d’accès privilégié à Dieu sous sa forme christique et précisément humaine/souffrante/fragile, telle qu’elle se développe justement à cette époque. La prise en compte du caractère féminin des mystiques apparaît ainsi comme un élément essentiel dans la compréhension d’un phénomène qui est allé ensuite en s’accroissant.

4De la mystique à la prostituée : on pourrait considérer (du moins selon un regard traditionnel) que l’on parcourt ainsi l’ensemble du spectre social de la féminité. Mais il s’agit là encore d’un problème de catégories d’analyse. Partir du lieu commun que la prostitution est « le plus vieux métier du monde » ne revient pas seulement à faire de la femme une prostituée en puissance, mais aussi à faire disparaître l’historicité de la prostitution – non seulement en tant que pratique, mais aussi en tant que représentation sociale. C’est là tout l’intérêt de l’ouvrage de B.S., qui montre comment, dans le cas particulier de la ville de Constance (isolé et développé à partir de sa thèse Die freien Frauen. Dirnen und Frauenhäuser im 15. und 16. Jahrhundert, Frankfurt am Main : Campus, 1995), naît la « putain » au XVe s. Non que des femmes « vénales » n’aient pas existé antérieurement, mais on a surtout affaire à la mise en place d’un discours nouveau. Au XIVe s., il n’existe ni discours ni pratiques homogènes du conseil face à la prostitution. Cela change à partir de la fin des années 1420 : la prostitution est organisée dans le cadre de bordels peu surveillés par le conseil et au sein desquels les prostituées sont de manière significative désignées comme des « filles » (au sens filial du terme) : le cadre parental est ainsi recréé fictivement, le bordel formant une sorte de « feu » assimilable aux autres. Le bordel, en tant que lieu « commun » où les femmes étaient accessibles à tous (sauf aux Juifs) et de manière temporaire, fonctionne comme un lieu sinon de solidarité, du moins de désamorçage des tensions qui auraient pu se former autour du « marché » des femmes et, à terme, perturber le marché matrimonial. Mais à côté de ces femmes encloses existaient aussi des prostituées « indépendantes » que leurs tarifs tendaient à réserver à des hommes riches et d’un certain âge, susceptibles de les entretenir un certain temps (donc de façon durable – mais imprévisible). Ces femmes étaient donc problématiques et désignées par le conseil comme des unendliche Frauen (« femmes sans limites », c’est-à-dire insatiables), dont la sexualité échappait aux cadres traditionnels du mariage et de la pseudo-famille que formait le bordel. De fait, le principal problème du conseil était moins l’état moral des habitants que la stabilité de l’ordre matrimonial, et notamment sa mise en danger par les comportements féminins. Or justement, à l’inverse des femmes encloses, les « femmes insatiables » menaçaient l’ordre matrimonial en poussant à la double vie voire à l’abandon de l’épouse, ce contre quoi le conseil entreprend de réagir à partir du milieu du XVe s. – montrant ainsi combien les autorités laïques avaient désormais intégré les normes cléricales. De façon tout à fait significative, on procède à une catégorisation des prostituées indépendantes comme « putains », catégorisation dont la réalisation sociale est censée passer par le paiement d’une taxe au conseil (ce qui montre bien combien l’analyse courante de la fiscalité médiévale en termes simplement financiers reste loin du compte : tout versement est classificatoire). En 1473 apparaît la fonction de « maîtres des putains » chargés de surveiller les prostituées indépendantes, dont l’activité est peu à peu cantonnée à un secteur marginal de la ville ; mais la compétence des Hurenmeister s’élargit en outre progressivement aux couturières et autres femmes pauvres et indépendantes, si bien que celles-ci sont de facto assimilées à des « putains ». Ceci atteint même les « bonnes de curé » dès 1507. Cette condamnation de toute femme vivant en-dehors des liens matrimoniaux s’insère par ailleurs dans un ensemble de mesures (bien antérieures à la Réformation !) qui font du conseil l’instance de contrôle de tout ce qui est susceptible de menacer l’ordre socio-matrimonial (pratiques sexuelles, jeu, boisson, danse, blasphème, etc.) et aboutissent logiquement à la municipalisation de la prostitution en 1507, puis à l’interdiction de toute forme de prostitution et à la transformation des Hurenmeister en Zuchtherren (« seigneurs des mœurs ») dans le cadre de la Réformation. On perçoit ainsi combien la définition et les contours des formes de prostitution et des catégories de prostituées renvoient moins à des réalités pratiques (« le plus vieux métier du monde ») qu’ils ne sont des enjeux pour la définition (masculine) de l’ordre social légitime et de la compétence spécifique du conseil dans le maintien de cet ordre. Ce très intéressant ouvrage s’achève par l’examen de l’iconographie de la luxure et de la prostitution aux XVe-XVIe s., un catalogue prosopographique des tenanciers de bordel à Constance, la liste chronologique des délits commis dans les bordels de la ville (1427-1523), enfin la liste des professions des « clients » identifiés des bordels.

5Joseph MORSEL

Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Joseph Morsel, « SCHUSTER, Beate, Die unendlichen Frauen. Prostitution und städtische Ordnung in Konstanz im 15./16. Jahrhundert », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 01 janvier 2001, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/1250 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.1250

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
  • Logo IFRA – Institut franco-allemand. Sciences historiques & sociales
  • Logo Goethe Universität
  • Logo Ministère des affaires étrangères
  • Logo Fondation maison des sciences de l'homme
  • OpenEdition Journals
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search