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2002

LORENTZ, Bernhard, Industrieelite und Wirtschaftspolitik 1928-1950. Heinrich Dräger und das Drägerwerk

Hervé Joly
Bernhard LORENTZ, Industrieelite und Wirtschaftspolitik 1928-1950. Heinrich Dräger und das Drägerwerk, Paderborn : Schöningh, 2001, 404 p., 30,60 €.
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Texte intégral

1Cet ouvrage, issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’université Humboldt de Berlin sous la direction de Ludolf Herbst, constitue une étude d’une grande richesse et d’une grande originalité, même s’il ne réalise pas complètement les attentes suscitées par son titre. En effet, comme le précise le sous-titre, il ne s’agit pas d’une étude sur l’élite industrielle allemande dans son ensemble entre la fin de Weimar et la reconstruction de l’après-guerre, mais d’une monographie qui ambitionne d’associer, dans l’imbrication étroite qui caractérise les entreprises familiales, histoire d’entreprise et biographie patronale. L’intérêt de l’objet choisi justifie la pertinence de cette orientation. L’entreprise de construction mécanique fine de Lübeck, qui fabrique notamment des masques à oxygène à usage minier ou militaire, appartient, juste derrière les grands Konzerns bien connus comme Siemens ou Krupp, à cette « seconde division » des grandes entreprises industrielles avec plusieurs milliers de salariés, au capital souvent exclusivement familial, qui constitue un apport très important pour l’économie allemande. Faute souvent d’un service d’archives historiques organisé, elles sont moins connues des historiens. B.L. a bénéficié d’un fonds exceptionnellement riche mis à sa disposition par l’entreprise, pour une période aussi sensible de son histoire. Après, à titre de prologue, une présentation des origines de l’entreprise, la chronologie retenue coïncide avec l’arrivée aux commandes en 1928 du petit-fils du fondateur, Heinrich Dräger (1898-1986), à la suite de la mort prématurée de son père. B.L. évoque d’abord son engagement dans la politique économique à l’époque de la crise, à titre de cofondateur d’une société d’études (Studiengesellschaft für Geld- und Kreditwirtschaft) qui prône un programme de création d’emplois par la dépense publique. L’auteur montre comment ce groupe qui associe des économistes et des industriels conservateurs s’est trouvé attiré par le mouvement nazi, qui était le seul à donner un écho à son projet. Sans appartenir à l’époque au parti, H. Dräger devient, par ses écrits, l’un des inspirateurs de son programme économique. L’arrivée au pouvoir d’Hitler se traduit pourtant par la disparition d’une société d’études qui n’a plus sa place dans un système où tout débat démocratique est aboli. B.L. montre ensuite à quel point, comme beaucoup d’autres, l’entreprise Dräger a profité de la relance économique et de la politique de réarmement. Elle compense largement la perte des débouchés extérieurs par le développement des commandes militaires. Dans une branche caractérisée par un duopole partagé avec une filiale de la Degussa, les dirigeants de l’entreprise jouent un rôle très important dans la gestion de l’économie dirigée. B.L. insiste sur l’ambiguïté de la position d’H. Dräger dans le système militaro-industriel du IIIème Reich. S’il a fini par adhérer au parti en 1935, il ne serait pas un nazi convaincu et aurait entretenu des contacts avec l’opposition conservatrice qui auraient failli entraîner son arrestation après le 20 juillet 1944. Il n’aurait pas d’orientation antisémite, mais son entreprise a profité de la pression exercée sur les intérêts juifs pour prendre le contrôle d’une entreprise de Hambourg, avant la mise en œuvre en 1938 d’une politique d’aryanisation officielle. H. Dräger serait défavorable à l’emploi de main d’œuvre étrangère forcée, mais il y aura finalement recours massivement dans ses usines. Après l’expérience d’un grave reflux des activités de son entreprise après 1918, il se méfierait d’un développement trop lié à la conjoncture militaire, tout en développant largement ses activités y compris dans les territoires occupés. Même s’il chercherait à se préparer à une défaite qui lui paraît inéluctable à partir de 1943, il reste impliqué jusqu’à la fin dans l’organisation Speer. L’ouvrage s’achève sur le récit de son rapide rétablissement dans l’après-guerre, grâce à la mise en avant de ses liens avec l’opposition au nazisme et à l’importance stratégique de son entreprise dans l’économie de la reconstruction.

2Les sources utilisées, aussi riches soient-elles, tendent cependant à tirer l’ouvrage plus vers l’histoire d’entreprise que vers la biographie patronale. Dans une entreprise personnelle qui ne comportait pas les organes dirigeants d’une société, les archives de direction sont nécessairement pauvres. On sait peu de choses sur les positions réelles d’H. Dräger, sur les discussions qu’il pouvait avoir avec ses collaborateurs. Les interprétations régulièrement indulgentes de l’auteur paraissent donc un peu imprudentes. De manière générale, l’homme Dräger, sa sociabilité, ses relations familiales, son mode de vie, etc., restent dans l’ombre. L’ouvrage est cependant extrêmement précieux par la finesse de ses analyses qui associent remarquablement histoire économique et histoire politique du nazisme. Les enjeux de l’imbrication étroite des intérêts publics et privés dans l’économie dirigée d’une branche industrielle n’ont probablement jamais été aussi bien étudiés.

3Hervé JOLY

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Pour citer cet article

Référence électronique

Hervé Joly, « LORENTZ, Bernhard, Industrieelite und Wirtschaftspolitik 1928-1950. Heinrich Dräger und das Drägerwerk », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 01 janvier 2002, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/ifha/1224 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.1224

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